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Entretien avec John Scheid

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John Scheid, professeur au Collège de France (chaire « Religion, institutions et société de la Rome antique ») souligne en début d’entretien que dès sa leçon inaugurale (2002), il avait abordé la question de l’enseignement du latin. C’était en ces termes :

JohnScheid

« Il ne s’agit pas seulement de défendre les filières dites “classiques” dans l’enseignement secondaire et d’insister sur la qualité de cette formation. Le latin et le grec aident, il est vrai, à apprendre le français, à comprendre la grammaire et à raisonner. Mais soyons honnêtes. Correctement enseigné, le français lui-même pourrait rendre le même service. L’importance de la formation classique réside ailleurs. Parce qu’elle oblige à regarder au-delà des frontières nationales, elle constitue un accès privilégié au patrimoine culturel commun de l’Europe et au-delà, du monde méditerranéen, pour peu que l’on veuille se souvenir que jadis l’Empire romain a relié Gibraltar à la mer Noire, et la Grande-Bretagne au Sahara. » (§4)

« Il y a vingt-sept ans, Paul Veyne pouvait dire que son époque n’apprenait plus beaucoup de latin. Que dire aujourd’hui ? Qui prétendra que les langues classiques se portent bien en France et en Europe ? Malgré le soutien dont il bénéficie, l’enseignement de cette discipline traverse depuis plus de vingt ans une période difficile. On ne peut que s’interroger sur la rage démagogique qui consiste à supprimer l’étude de langues qui restent pourtant indispensables à tous ceux qui portent quelque intérêt à notre patrimoine historique. Et il ne sert à rien de maintenir ces enseignements de manière superficielle. Comme pour les langues vivantes, un enseignement digne de ce nom n’existe que si l’élève apprend effectivement les langues. » (§12)

***

Patrimoine culturel commun

- John Scheid : il n’est pas possible de parler de notre identité si l’on n’est pas capable de lire les sources qui définissent cette identité. Or depuis César jusqu’à la Renaissance et même plus loin dans certains cas, tous nos documents sont en latin et c’est seulement à partir de François Ier, qu’on commence à moderniser (et la création du Collège de France fait partie de cette modernisation). C’est l’époque à laquelle certains érudits ont commencé à dire qu’il fallait diffuser des traductions tout en allant aux sources. C’est cela l’Humanisme : les humanistes lisaient le latin, le grec, l’hébreu, mais en même temps, ils faisaient des traductions, ce qui était dangereux à l’époque. Car la faculté de théologie n’aimait pas beaucoup qu’on lise la bible dans le texte, ou en traduction, parce que cela enlève des filtres qu’elle jugeait nécessaires. Et à cette époque, on commence aussi à écrire certains documents publics en français, mais pour l’essentiel, notre documentation dans toute l’Europe, jusqu’à la fin du XVIIIe s., c’est le latin.

Si on forme une jeunesse qui ignore les faits (et là ce n’est pas seulement l’histoire ancienne qui est en cause), on se prépare des lendemains jolis, parce que n’importe quel parti extrémiste peut raconter n’importe quoi, et personne ne leur opposera les faits historiques : on revient au Moyen Age. Et pour l’Antiquité, même si nos idéologues ne l’aiment pas beaucoup (c’est dépassé, cela n’a aucun intérêt), elle est puissamment utilisée dans toutes les constructions idéologiques. Il y 70 ans, on tenait des discours historiques assez étonnants en Italie, en Allemagne, au Japon qui pourraient nous faire réfléchir. Ils étaient fondés sur une falsification de l’histoire mais il restait toute une série de gens, même en Allemagne ou en Italie, qui disaient non, que ce n’était pas comme cela. Qu’est ce qui se passerait de nos temps ? C’est pour cela qu’il faut apprendre un peu l’histoire ancienne.

- Philippe Cibois : pour vous il faut se centrer sur le présent ? Nous spécifiquement, notre histoire, notre langue et ne pas chercher à dominer intellectuellement l’ensemble du monde ?

- Absolument. Ce n’est pas qu’il faille ignorer les autres : bien sûr qu’il faut de l’histoire mondiale, mais n’apprendre que l’histoire mondiale comme si la France n’existait pas, risque à mon avis de susciter un problème grave. Parce qu’il faut savoir pourquoi on apprend, et la première chose à apprendre, c’est de se connaître soi-même, et notamment sa langue.

Je me souviens de quand j’ai découvert au lycée, pendant les dernières années, les textes politiques romains qui étaient passionnants, et qui nous faisaient découvrir beaucoup de problèmes, antiques et contemporains. Nos professeurs parlaient de ce qui s’était passé dans les années 30 et 40 en commentant ces textes. Par exemple la Guerre contre Jugurtha : qu’est-ce que les Romains allaient faire en Afrique du nord ? Cela permettait de faire des discours « en partant de » avec des arguments dont certains étaient les mêmes que ceux que Salluste ou Cicéron développaient.

Pas de formation superficielle

Ce qui me parait important, néanmoins, c’est que quand on parle une langue romane et qu’on enseigne une langue romane, que l’on connaisse les fondements de cette langue. On ne va pas inventer une linguistique qui est complètement en dehors de l’histoire, et pour comprendre une langue, au moins le professeur, et donc les étudiants, et d’une certaine manière les bacheliers, doivent au moins en posséder les rudiments pour arriver à cette connaissance.

Ce qui est dramatique, c’est le saupoudrage actuel. On fait semblant à Bruxelles dans les commissions, ou à l’Unesco, de croire qu’en France on apprend encore le latin et le grec. Vous savez mieux que moi ce qu’il en est : les professeurs de latin voient leur programme réduit à la portion congrue.

Il y a déjà vingt ans, j’ai découvert que les étudiants en lettres classiques faisaient leur maîtrise sur des traductions, et c’est alarmant. Parce que ce n’est plus la peine d’enseigner le latin au lycée, si c’est pour arriver au résultat qu’au bac ils ne sont même pas fichus de comprendre César, ou un petit texte sans dictionnaire. Alors à quoi bon ?

J’ai fait toutes mes études sans dictionnaire : on avait certes des dictionnaires, parce qu’on devait traduire des textes grecs ou latins difficiles qu’on n’avait jamais vus, et là on avait bien sûr le droit d’utiliser le dictionnaire. Mais tous les examens, jusqu’au bac et pendant le bac même, se faisaient sans dictionnaire.

- PhC : C’était au Luxembourg ?

- Qui n’est pourtant pas un pays extraordinaire de ce point de vue, mais il avait conservé la vieille tradition de l’apprentissage des textes et des langues. La méthode pratiquée était une sorte de mélange des méthodes françaises et allemandes, d’après lequel il était impensable qu’on utilise un dictionnaire. Le Gaffiot a tué le latin en France. Si l’on ne dispose pas du dictionnaire aux exercices et examens, on se constitue un petit vocabulaire de 1000 à 2000 mots, très suffisant pour comprendre l’essentiel, ce qui permet de se débrouiller pour le reste. Mais j’en viens au principal : j’avais 5 heures de grec par semaine, et 7 heures de latin. Pendant 7 ans, 7 heures de latin, pendant 5 ans 5 heures de grec ! C’est toute la différence.

Ce que je n’ai jamais compris, c’est le saucissonnage du Morisset et Thévenot : c’est une horreur : nous, on avait au programme deux chants de l’Iliade, trois chants de l’Eneide. On avait la Guerre de Jugurtha, point : du début à la fin. Comment voulez-vous avec deux, trois heures, je ne sais plus combien, que vous dépassiez le stade de la déclinaison ? Vous vous planterez ensuite dans les verbes irréguliers, parce qu’il n’y a plus le temps d’aller plus loin. Je n’appelle pas cela faire du latin. À ce moment-là, autant faire autre chose. La civilisation romaine ? Mélanger l’enseignement de la langue avec l’étude de la civilisation, c’est très bien, mais il faut savoir. Qu’est-ce qui revient au latin ? C’est plutôt le professeur d’histoire qui devrait enseigner cela. Or en même temps, l’histoire antique disparaît des programmes de lycée et de collèges, je ne comprends pas pourquoi.

- PhC : on peut peut-être commencer par les expressions latines du français comme curriculum vitae ?

- Il y a du latin pur jus et du latin macaronique comme curriculum vitae, mais il y aussi tout le fonctionnement de la langue, le vocabulaire. J’ai été tout de suite fasciné quand j’ai vu que tel mot vient d’un mot plus ancien, de façon savante ou de façon directe, et la façon directe, les formations « populaires » des mots, est encore plus intéressante.

- PhC : mais est-ce que ce n’est pas l’objet du cours de français ?

- Le latin fournirait le vocabulaire et le professeur de français l’utiliserait systématiquement dans ses explications. Mais si on n’apprend pas le vocabulaire latin, si on ne voit pas comment cela fonctionne, c’est inutile. Il faut sensibiliser les élèves à cela, montrer que notre langue n’est pas tombée du ciel, que c’est une langue qui était parlée autrefois, comme langue de communication, dans toute la Méditerranée et même dans les pays grecs : il y avait des zones latinophones, jusqu’à Philippes en Macédoine ou Beyrouth au Liban. Les Romains de toute façon connaissaient aussi le grec et tout le monde se comprenait d’un bout à l’autre de la Méditerranée. Cet état de choses a laissé des traces : de ce point de vue « nous sommes tous des citoyens romains »[1].

Dans notre langue, le gaulois est infiniment plus faible que le latin : il doit même y avoir moins de mots gaulois que de mots germains, à cause des Francs. Je trouve que cela devrait intéresser les jeunes même sous forme de jeu. Maintenant on cherche des activités extra-scolaires, mais les professeurs de latin et de français pourraient faire ensemble des ateliers où l’on joue avec les mots pour en trouver l’étymologie. Que les jeunes sachent ce qu’est une étymologie, comment cela fonctionne, même s’ils ne sont pas linguistes ! Qu’ils connaissent un certain nombre de choses : que les langues se transforment, mais lentement : c’est cela qu’il faudrait leur apprendre.

Et puis, il faudrait que l’histoire participe à cet enseignement : je trouve que c’est criminel, on en parle régulièrement dans les journaux, d’avoir des programmes d’histoire au collège-lycée aussi indigents où on parle de tout et de n’importe quoi, mais pas de ce qui nous concerne, et même jusqu’à l’époque contemporaine : De Gaulle n’existe pas, la dernière guerre pratiquement pas, c’est scandaleux.

- PhC : en français, les textes proposés vont depuis la Bible et l’Énéide en 6e jusqu’à la littérature contemporaine en terminale.

- et ils les lisent et les étudient?

- PhC : en tout cas c’est au programme,

- oui mais je sais qu’il y a quarante-cinq ans (je parle de la préhistoire), dans mon petit pays, on avait aussi un programme, et il y avait 10 ou 20 œuvres qui étaient imposées dans le programme de l’année. Et les maîtres nous disaient « vous lisez les 10 ou 20 œuvres » et l’on était interrogé sur ces œuvres, en classe on n’étudiait forcément qu’un certain nombre de ces livres, mais on était prié de tout lire. Pas question de ce saucissonnage.

- PhC : donc il faut apprendre et arriver à un résultat.

Prenons le cas de l’apprentissage de l’anglais : tout ce débat sur l’anglais, vous trouvez normal que quelqu’un ou quelqu’une qui, pendant 7 ans, fait de l’anglais, ne soit pas fichu de comprendre un film sans sous-titre, de lire un livre anglais, ou de subir une conférence avec images en anglais ?

Finalités

Paul Veyne a dit un jour qu’on n’a pas besoin de latinistes mais qu’on n’avait besoin que d’un petit groupe. J’avais trouvé qu’il exagérait un peu, mais je crois que ce qu’il voulait dire, c’est que si vous et moi, et un certain nombre de collègues, nous faisons du latin, cela suffit ; on n’a pas besoin de faire des érudits de tous les Français, on n’est plus à l’époque où l’on écrivait en latin et où l’on dialoguait avec les étrangers en latin.

Mais il faut au moins que les experts puissent se reproduire, et à présent nous ne sommes plus en état de reproduire ce savoir. Il y a certes des gens qui, comme les chartistes, ne peuvent pas faire leur travail, sans le latin,

- PhC : qui n’ont pas droit au dictionnaire lors de leurs examens,

- et puis il y a quelques fous qui aiment le latin, le grec, les inscriptions, mais dans l’ensemble ces savoirs ont du mal à se reproduire. Je l’ai constaté un jour vu dans les commissions de recrutement de l’école Française de Rome : la philologie, c’était traditionnellement la spécialité de rue d’Ulm, on avait toujours le latiniste de service, qui travaillait sur des auteurs : tout d’un coup c’était l’ENS de Saint-Cloud (maintenant Lyon), qui présentait les philologues, alors que traditionnellement cette école préparait plutôt les historiens. Tout avait basculé dans le cœur du système. Cela ne m’étonne pas que les chartistes soient maintenant les vrais latinistes. À l’École pratique, à la 4e section (philologie), il y avait toujours un enseignement de philologie, mais la meilleure école de philologie c’était celle de François Dolbeau c’est-à-dire de quelqu’un qui travaillait sur le haut Moyen Age : on lui envoyait tous les jeunes qui étaient passionnés pour cette méthode, pour qu’ils apprennent les rudiments de la philologie pratique qu’il avait apprise à Rome au couvent St-Jérôme où l’on produisait sous Paul VI la nouvelle Vulgate.

On n’a donc pas besoin d’avoir des gens capables d’écrire des lettres en latin, on n’a pas besoin d’érudits en latin, mais je trouve que tout lycéen devrait, s’il fait des Lettres et même le reste, avoir au moins la capacité de traduire des textes faciles sans dictionnaire.

Que faire ?

Je n’ai jamais compris pourquoi on n’a pas créé des classes littéraires fortes. Dans les années 80, certains collègues ont milité pour créer une section littéraire forte, du même type que les S. Cela a toujours été refusé, ni par les élèves ni par les professeurs, mais par le ministère où manifestement certaines personnes détestaient cette culture dite d’élite qu’est censé être le latin.

- PhC : Vous avez discuté avec Bourdieu de la question ?

- Bourdieu, je l’ai malheureusement très peu connu : il est mort pratiquement au moment où j’entrais ici.

- PhC : C’était un gros utilisateur de latin.

- Bourdieu a été dans un internat comme moi, et il y a appris le latin à la source : lui, l’élite, il savait de quoi il parlait.

Je trouve incompréhensible cette haine contre le latin. À mon avis, ce qu’il faudrait en France, c’est de généraliser ce qui fonctionne, c’est-à-dire les khagnes, non pas tant pour préparer aux grandes Ecoles, mais pour tous les étudiants, parce qu’elles sont de bonnes casernes de dressage pour apprendre le français et pour boucher toutes les lacunes des littéraires. Devant l’indigence des programmes au Lycée, ce dressage est nécessaire au début des études supérieures.

Les deux premières années devraient être assurées par les professeurs de khagne dans les universités. Bien sûr il faudrait aussi sélectionner à l’entrée dans les universités, – je sais que c’est un sujet totalement tabou, mais il faut mettre un terme à cette utopie que 80% des jeunes peuvent faire des études de lettres au sens le plus large. Ce n’est pas possible, surtout avec l’enseignement secondaire qu’on leur donne.

- PhC : en 1967 il y avait deux filières bien différenciées philo et math. Aujourd’hui les anciens latinistes qui sont en science ont de meilleures notes que les littéraires.

- Parce que dans les classes scientifiques, il y a encore un esprit de travail et de toute façon, il y a une sélection sur le tas. On ne s’engage pas dans ces études si on n’est pas capable de suivre, et un élève qui a une bonne tête sera également bon en français.

- PhC : les L ne représentent plus que 10% des effectifs du baccalauréat général.

- on les a complètement laissé tomber par un nivellement vers le bas pour y fourrer tous ceux qui n’avaient peut-être pas leur place au lycée, et à qui l’on devrait dispenser des enseignements appropriés.

Idéologie grecque et langue latine

Pourquoi les Chinois sont-ils intéressés par le latin ? On peut se poser cette question. Parce que pour eux la culture occidentale sans le latin n’existe pas. En France, il y a ce mythe que la culture sans le latin, c’est tout à fait possible, puisque le grec suffirait : alors comme personne ne connaît et n’apprend vraiment le grec, on peut effectivement défendre un tel point d evue, mais je n’ai jamais compris cette idiotie.

- PhC : peut-être, comme le suggèrent les enquêtes, c’est parce que le grec est de gauche et le latin de droite ?

- Je suis élève de Vernant et de Vidal-Naquet, et Vidal-Naquet, dans notre Centre, quand il me taquinait, me disait « ah tu sais, les Romains, c’est des fachistes »

- PhC : Est-ce que « démocratie antique et démocratie moderne » sont si différentes ?

- Je répondais à Vidal-Naquet que le seul moment où les Grecs étaient un peu démocratiques, ils étaient dirigés par des aristocrates, dans un système plutôt rigide, et, entre parenthèses, ils étaient d’horribles impérialistes

- PhC : et les Romains ?

- c’était une bande de pillards et de voyous, mais au moins les choses sont claires. Tout cela est donc très relatif, mais on a toujours maintenu ce mythe.

Ce qui fait aussi beaucoup de mal, ce sont les philosophes, les philosophes de lycée, avec leur mythe de Platon, de la Grèce, Heidegger : cela crée des fausses images.

Mais le latin lui-même, c’est autre chose. La langue elle-même n’a pas d’odeur, elle n’est pas politique, elle est rationnelle. Je trouve que pour analyser une langue, il n’y a rien de tel qu’une langue qui est un peu plus compliquée que la nôtre, comme le latin. Le grec avec les verbes, est quand même beaucoup plus complexe ; la morphologie n’est pas simple pour un débutant surtout quand il n’a que quelques heures d’enseignement par semaine. Mais le latin, au moins au niveau de collège et de lycée, c’est maniable, et surtout on voit comment cela fonctionne, on voit des différences entre les langues qui mettent le verbe au début celles qui le mettent à la fin, etc. Ce sont des outils conceptuels que l’on acquiert pour aller vers d’autres langues et c’est pour cela que le latin est utile. Indépendamment de cela, on n’a pas à lire des délires romains sur la conquête du monde. Il y a assez de textes pour faire autre chose.

Expériences étrangères

Dans d’autres pays, de la Russie à l’Allemagne on continue à faire le Latinum à l’université. Une doctorante de l’université de Strasbourg est en cotutelle avec Berlin. Quand elle est allée à la Humboldt, ils ont vu qu’elle était assez médiocre en latin, elle a donc fait son Latinum, et son Graecum, conditions nécessaires pour avoir son diplôme d’université. À l’époque soviétique, et je pense que cela continue, dans une université russe, vous ne pouviez pas avoir votre diplôme si vous ne faisiez pas de latin. On comprend bien pourquoi : comment voulez-vous faire l’histoire de la Hongrie par exemple, si vous ne connaissez pas le latin ?

Après notre génération, quand on voudra dire quelque chose sur notre passé, il faudra s’adresser aux Américains, aux Chinois, aux Japonais ou aux Russes. On en est là : et aux États-Unis, cités comme exemple de modernité, la plupart des bons étudiants font du latin au lycée. Pourquoi ? Parce que les hommes d’affaires américains ne veulent pas faire d’erreur quand ils citent un auteur latin. Les Américains veulent être sérieux, même dans leurs citations latines.

Dans une université américaine, quand vous faites le college, et ensuite vous allez à l’université pour le doctorat, le PhD, très souvent, pour les scientifiques notamment, on les prie de faire une année de Lettres. C’est ce qui fait que le siège de l’organe de l’association philologique américaine, les Transactions of the American Philological Association, est à Johns Hopkins, à Baltimore, qui est avant tout une université de biologie, de médecine, d’ingénierie.

- PhC : mais dans les colleges il y a une dominante ?

- oui, les littéraires sont littéraires, les scientifiques sont scientifiques mais on leur demande à un moment donné de faire quelques mois de culture générale ; ils font alors de l’histoire de l’art, des lettres, des langues, de l’histoire, de l’archéologie, tout ce qu’on veut.

En guise de conclusion

Je ne sais pas si cela vous a éclairé : moi, je ne suis pas latiniste, je suis dans « le latin appliqué », je fais de l’histoire romaine et j’utilise le peu de latin qui me reste. Comme je ne suis pas engagé dans l’enseignement même, que je ne suis pas juge et partie, je peux me permettre de dire que ce n’est pas comme actuellement, par un saupoudrage, qu’on apprendra le latin aux jeunes.

Moi j’adore Rome, je ne souhaite qu’une chose, c’est que les jeunes aillent visiter Rome, mais ce n’est pas comme cela qu’ils apprendront le latin. Le latin, cela se fait sur une table avec une grammaire, des textes, et des exercices – et sans dictionnaire : on peut parfaitement apprendre les déclinaisons avec les inscriptions romaines, mais il faut travailler sur la langue pour commencer, après le reste vient tout seul.

  1. Derniers mots de Le métier de citoyen dans la Rome républicaine de Claude Nicolet, 1976

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